Mille sept cents ans après le concile de Nicée, la visite historique du pape Léon XIV

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L’actualisation du concile de Nicée à l’occasion du voyage, en novembre 2025, du pape Léon XIV en Turquie permet de réfléchir aux enjeux de ce concile pour la géo-ecclésiologie (étude du rapport de l’Église aux territoires) actuelle. Le pape promeut une approche dynamique de Nicée : quel impact sur l’unité des Églises et sur le dialogue œcuménique et interreligieux ?

Dans l’avion qui l’amenait de Turquie au Liban le dimanche 30 novembre 2025, le pape Léon XIV a expliqué pourquoi il avait souhaité effectuer ce voyage dans la région :

"La première raison […] était le 1 700e anniversaire du Concile de Nicée […] pour commémorer le grand événement : l’accord de toute la communauté chrétienne et la profession de foi, le Credo de Nicée-Constantinople."

Faut-il voir dans ce déplacement un simple hommage aux sources du christianisme ou, au-delà, un choix symbolique qui annonce une orientation importante de ce que sera le pontificat de ce pape de 70 ans élu en mai dernier ?

L’évolution de l’adjectif "œcuménique"

Le 28 novembre 2025, cet "accord de toute la communauté chrétienne" s’est manifesté par une célébration œcuménique qui a rassemblé de nombreux responsables chrétiens – catholiques, orthodoxes et protestants – autour du patriarche orthodoxe de Constantinople Bartholomée Ier et du pape Léon XIV.

Mais le concile de Nicée s’est réuni avant toutes les séparations entre les Églises ; dès lors, comment se fait-il qu’il soit appelé le premier concile "œcuménique" ?

À Nicée (aujourd’hui Iznik), en 325, le premier concile est le fruit immédiat de l’édit de Milan, promulgué en 313 par les co-empereurs romains Licinius et Constantin, qui promouvait la tolérance religieuse et marquait la fin des persécutions de l’Empire romain contre les chrétiens.

Le fait de se réunir ("concile" vient du latin concilium qui signifie assemblée) pour se mettre d’accord sur les questions nouvelles n’a en soi rien de nouveau puisque c’était déjà le mode habituel de gouvernance des Églises, y compris pendant les persécutions, mais à échelle locale.

Cependant, en convergeant vers Nicée par les voies romaines, les évêques entourés de délégations sont pour la première fois en capacité de représenter l’Église "universelle". C’est vers cette réalité que pointe alors l’adjectif "œcuménique". 

Au cours des siècles, l’adjectif a changé de sens. Dans l’Antiquité, il a d’abord un sens géographique et signifie que le concile a vocation à rassembler, au moins potentiellement, les évêques de tout l’Empire. Aujourd’hui, il revêt un sens plus technique et désigne les différentes formes de dialogue interconfessionnel au sein des différentes Églises chrétiennes. Il n’en demeure pas moins que les Églises, séparées au fil des siècles, célèbrent toujours en Nicée un patrimoine commun qui les réunit sur l’essentiel.

Un "credo" commun

L’enjeu majeur, en 325, était de se mettre d’accord sur les mots pour exprimer la foi au Christ en tant que Fils de Dieu.

Alors que le prêtre alexandrin Arius formulait une certaine subordination du Fils par rapport au Père en raison de sa nature humaine, les évêques réunis affirment que ce Fils n’est pas moins Dieu que le Père : il est de même nature que le Père.

Pour transmettre cette conviction, ils élaborent une profession de foi, le premier credo que chacun des évêques rapportera chez lui pour le transmettre aux fidèles aux quatre coins de l’Empire.

L’empereur Constantin (au centre) avec les évêques du concile de Nicée tenant anachroniquement le texte du Symbole de Nicée-Constantinople dans sa forme liturgique grecque fondée sur le texte adopté au premier concile de Constantinople (381 de notre ère). Wikimedia

Les professions de foi alternant le mode narratif et la précision théologique étaient déjà le mode habituel de formulation de la foi depuis les origines ; c’est sur les modèles de professions de foi déjà existantes utilisées lors des baptêmes que le concile élabore son credo. Mais les évêques de Nicée ont conscience de formuler à cette occasion une profession de foi capable de servir de repère pour l’Église universelle. Elle sera par la suite complétée au concile de Constantinople en 381 (d’où son nom de Credo de Nicée-Constantinople), mais elle ne changera pas sur le fond. "Le Credo de Nicée-Constantinople est ainsi la profession commune de toutes les traditions chrétiennes", comme le souligne le pape dans la lettre apostolique du 23 novembre 2025 In unitate fidei à l’occasion de l’anniversaire de Nicée.

Cette conviction est toujours celle des différentes Églises chrétiennes rassemblées ; c’est donc bien leur patrimoine commun que les acteurs de la commémoration de 2025 ont voulu mettre en valeur, sans pour autant renier leurs identités propres.

En quoi ce voyage porte-t-il un aspect symbolique ?

C’est justement dans l’articulation entre unité et diversité que le patriarche Bartholomée et le pape Léon XIV se positionnent de façon très claire, proposant de "marcher ensemble" :

"Nous devons marcher ensemble, dit le pape Léon XIV, pour parvenir à l’unité et à la réconciliation entre tous les chrétiens." (In unitate fidei 12.)

Il poursuit :

"Le Credo de Nicée peut être la base et le critère de référence de ce cheminement. Il nous propose en effet un modèle de véritable unité dans la diversité légitime. […] Car l’unité sans multiplicité est tyrannie." (In unitate fidei 12.)

Ainsi, cette unité n’est nullement comprise comme une uniformité, qui serait d’ailleurs plus ou moins fantasmée ; le projet ne vise pas le lissage des individualités mais le dialogue.

Loin de toute naïveté, la rencontre de Nicée manifeste donc la volonté des responsables religieux présents de donner du christianisme une image du dialogue pour la paix. "Car nous ne sommes pas rassemblés ici simplement pour nous souvenir du passé", a affirmé le patriarche Bartholomée dans son discours de bienvenue.

S’il a été possible de se rencontrer (et n’est-ce pas là le plus difficile justement ? L’absence de l’Église russe planant comme un rappel douloureux des aspects politico-religieux dans les conflits actuels), alors le geste devient également "proposable" au niveau du dialogue interreligieux (en Turquie et au-delà) et même au niveau politique. La suite du voyage du pape au Liban peut ainsi être lue comme une conséquence géo-ecclésiologique de la mémoire vivante de Nicée.

Plus largement, les débats de Nicée ne se limitent pas à des enjeux internes à la foi chrétienne, mais ouvrent sur le dialogue avec les cultures. Pour dire le cœur de leur foi, les évêques de Nicée peaufinent le vocabulaire et optent, audacieusement, pour un terme non pas biblique mais issu de la culture philosophique grecque, apte selon eux à préciser de façon décisive leur pensée. L’adjectif grec homoousios (traduit ensuite en "consubstantiel" en français à partir du latin consubstantialis) générera plus d’un siècle de débats, mais exprime une ouverture au dialogue avec la culture profane. Fils de leur temps et héritiers de cette culture, ils décident de "cheminer avec" ce qu’elle peut offrir de positif pour eux, illustrant ainsi ce qu’on appellera plus tard l’inculturation de la foi, c’est-à-dire l’expression de la foi dans et grâce au génie de chaque culture recevant l’Évangile.

Le pari était risqué et, effectivement, le concile de Nicée est loin d’avoir mis un terme aux conflits de formulations concernant la nature du Fils. Il faudra attendre le 4ᵉ concile œcuménique à Chalcédoine, en 451, pour trouver une expression stabilisée et apaisée. Mais le processus d’inculturation illustré à Nicée marque le christianisme antique de façon irréversible.

Toutes ces "dispositions" marquantes envers le dialogue et la paix font de Nicée, comme premier voyage du pape Léon XIV, un lieu symbolique qui trace une orientation forte pour son pontificat. Entre enracinement dans l’histoire et service de la paix dans le monde, Léon XIV place ce premier voyage dans la continuité des grands travaux inaugurés par le pape François sur la synodalité. Le mot grec syn-odos ne signifie-t-il pas justement "faire route ensemble" ?

Marie Chaieb, enseignant-chercheur en théologie patristique, UCLy (Lyon Catholic University)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Crédit image : Shutterstock / miss.cabul


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